26.2.20

10 ans, un bilan


10 années ont passé depuis la sortie d’Infidèles. Je veux dire, exactement ce mois-ci. 10 années pendant lesquelles je suis resté plutôt silencieux sur ce qu’on appelle l’envers du décor. Mais puisque j’ai entrepris de raconter la fabrication de ce film étape par étape sur ce blog, c’est sans doute le moment de conclure en partageant les derniers secrets du film.

Un bilan
Je voudrais commencer par faire un point sur la méthode de travail que j’ai commencé à élaborer avec le film. Je crois que je l’ai poussée plus avant, mais c’est amusant de voir que j’ai jeté les bases. L’idée, c’est que je ne veux pas imposer ma « vision » ni à une équipe ni aux spectateurs•rices. Par exemple, parce que que je susi un fervent démocrate. Mais aussi parce que… comment dire, attendre d’une équipe une performance, plutôt que d’accueillir chacun•e comme iels viennent, l’organisation hiérarchique des relations de travail, et la parole autoritaire vis à vis des spectateurs•rices, toutes ces façons viennent d’un rapport au monde de mecs blancs hétérosexuels bourgeois. C’est curieux que ce ne soit pas plus dénoncé. On ne peut pas dénoncer un système qui nous invisibilise sans remettre en cause les méthodes qui découlent de ce système et le maintiennent.

Mais enfin, je n’ai pas trouvé d’oreille attentive sur ces questions, je les garde pour moi. Disons brièvement que mon approche part des mêmes prémisses : je rassemble les conditions pour que quelque chose arrive sans avoir le contrôle du tout sur ce qu’il arrive. Et c’est fait pour me réjouir tout à fait.

L’acteur
Abordons le choix de l’acteur. Je crois que si c’était à refaire, ce n’est pas cet acteur que je choisirais. Ce n’est pas pour être désobligeant. Il me semble qu’il est bien dans le film. Pour autant, je ne crois pas qu’il ait compris mon approche. C’est forcément à mettre sur mon compte, je n’ai pas dû assez expliquer. Mais, par exemple, j’avais écrit des sujets de conversations sur lesquels on allait improviser. Il a eu cette idée d’apprendre par cœur des dialogues. Et quand on a commencé à discuter, il récitait. Ça veut dire qu’il s’était préparé, ce qui est une bonne chose, mais évidemment ça ne fonctionnait pas du tout. J’ai dû tout chambouler et après disons 3 jours, peut-être plus, nous sommes retombés sur nos pattes. Jusque-là rien de grave.

Le problème, c’est qu’il n’a pas été tout à fait honnête afin d’obtenir le rôle. C’est de bonne guerre, ça ne me gène pas du tout. Mais je l’imaginais comme cet acteur underground qui s’intéressait à des projets expérimentaux. Au cours du deuxième jour de tournage, en discutant de choses et d’autres pendant que j’installais le matériel, j’ai appris qu’il n’aimait pas les films d’avant garde dans lesquels il avait joué et qu’il avait des goûts plutôt conservateurs. Je me rappelle l’avoir regardé et m’être dit qu’il n’allait pas du tout aimer le film qu’on était en train de faire. Et c’est forcément un peu triste, on a envie que les acteurs soient contents du travail qu’on a fait ensemble.

Plus tard, il m’a dit que plusieurs réalisateurs l’avaient trouvé bien dans le film et l’avaient auditionné pour d’autres projets, alors je suppose que le bilan pour lui a été positif.

La sortie du film
Je peux parler de la sortie du film aussi. Elle a été, disons... mouvementée. Assez tôt, un vendeur, je ne suis pas sûr que ça s’appelle comme ça, m’a contacté pour me proposer de trouver des distributeurs. Ça marche comme un agent, qui trouvent des contrats et prend sa part. Ça ne me paraissait pas une mauvaise idée, dans la mesure où mes courriers à ces mêmes distributeurs restaient lettre morte, comme on dit. Je me rappelle la première chose que m’a dite l’un d’eux à notre rencontre :  – « Vous auriez dû nous contacter directement », – « C’est-à-dire que justement, je vous ai écrit, mais… ». Le système est conçu par et pour les hommes blancs bourgeois hétéros même pour les films gays… Quoiqu’il en soit, le film a été vendu à travers l’Europe, Les États-Unis et l’Asie.

La plupart du temps, je n’avais aucun contact avec ces distributeurs. Je suppose que c’est regrettable. J’ai eu une très bonne relation avec les états-uniens. C’est forcément agréable quand on est très rigoureux de trouver des personnes aussi diligentes que vous. Mon expérience avec le distributeur français a été, je ne sais pas, malheureuse, grotesque. Pour résumer, ils ont eu cette brillante idée avec ce gars vendeur de flouter des pas entiers du film. Au 21è siècle, 50 ans après la libération sexuelle ? Mon côté sarcastique a beaucoup ri et mon côté naïf a vraiment cru que ça ne passerait pas, que les gens allaient leur jeté des légumes pourris à la tête. Eh bien non. Alors je suis désolé bien sûr, que des spectateurs se soient retrouvés à payer pour quelque chose qui me paraît tenir du massacre, mais frustré aussi que personne n’ait pris ma défense.

Alors ce vendeur, ou quelque soit le nom qu’il donne à sa fonction, Loic Magneron et son entreprise Wide management (#nameandshame) ont quand même recueillis des milliers d’euros avec ce film et à ce jour, 10 ans plus tard, je n’en ai pas vu la couleur. Pas un cent ne m’a été reversé. Je ne dis pas que j’ai été victime d’un escroc, je ne sais même pas ce qu’il s’est passé. Pour sûr, si quelqu’un quelque part envisage de travailler avec eux, peut-être réfléchissez, vous pourriez avoir besoin de cet argent, par exemple pour faire d’autres films. L’idée de saisir la justice est disons déplaisante. J’aimerais continuer à vivre dans un monde où on essaie tous d’être le plus honnête et respectueux possible. Mais je comprends bien qu’il va falloir me décider à poursuivre ces gens. Si vous connaissez un avocat… :-)

Mais je veux toujours voir le verre à moitié plein et il se trouve qu’aujourd’hui j’ai récupéré les droits de ce film. Ça veut dire que je ne laisserai pas quelqu’un le massacrer à loisir ou empocher les bénéfices. Le film est disponible ici dans la version que j’ai imaginée et j’en sui ravi.

Aucun commentaire:

ShareThis