1.7.08

Rencontre avec Marcel Schlutt

L'avion commence son atterrissage. Je regarde Berlin par le hublot. Je reconnais l'organisation, les couleurs, l'énergie allemande. Ca m'a tellement manqué. J'ai les larmes aux yeux. Même cette horrible tour d'antenne audiovisuelle d'Alexanderplatz me fait frissonner, c'est tellement allemand. Je souris. Je scrute le moindre détail.

J'arrive à Berlin. Je n'ai pas dormi. Je suis perdu. Je ne reconnais plus rien. Tout a changé. Je ne vais pas arrêter de marcher, partout, rentrer dans les immeubles, traverser la ville de part en part, rentrer dans la gare, la HauptBahnhof, longer le fleuve, la Spree, marcher sur la ligne qui rappelle la démarcation du mur, rentrer dans le Reichtag, regarder tout Berlin de haut, aller aux Galeries Lafayette pour voir la proposition de Jean Nouvel, me perdre dans les quartiers désolés de l'ex Berlin est. Il y a des travaux partout. D'habitude, les travaux dans une ville, c'est insupportable, là, c'est excitant. On se demande ce qu'ils vont encore faire, quelle audace, quelle astuce ils vont encore imaginer. C'est l'effervescence.

J'absorbe toute l'énergie de cette ville. Je suis affamé.

Je m'arrête à Kreuzberg. Je me pose. C'est impossible de ne pas se poser. Le soleil, les tilleuls en fleur, dont l'odeur inonde toute la ville... La vie est douce à Berlin. Enthousiasmante, dynamique et pourtant si douce.

Je reprends la route, j'ai plusieurs choses à faire, des gens à voir... Je longe le canal, je regarde toutes ces personnes lovées sur l'herbe. Je souris.

Je passe le 2e jour en vélo, puis le soir, je retrouve Marcel Schlutt à Prenzlauer Berg. Il est déjà au rendez-vous. Il me voit arriver. Un sourire franc mange son visage. "Guten Abend".

Je m'assois. Je m'apprête à raconter mon projet pendant une heure, je visualise cette heure devant moi, je prends une bonne respiration... mais il en a déjà entendu parler par un ami, je n'ai pas grand chose à dire qu'il est déjà partant. Ouf...

Je le regarde. Il est aussi touchant qu'il semblait l'être dans le film de Bruce LaBruce. Simple, doux, souriant. J'écoute son anglais, fluide, très peu hésitant, avec un vocabulaire courant. Il est à l'aise avec son corps, la sexualité, sans être focalisé dessus non plus, c'est bien. Je ne veux pas piéger ou agresser un acteur avec mon film et je ne veux pas me confronter à des questions morales qui ont été posées il y a plus de 40 ans.

Et puis je le regarde faire. Je vois qu'il fait attention à ce qu'il dit. Qu'il va choisir dans tout ce qu'il a à dire ce qui va éveiller mon désir et m'inspirer confiance. Qu'il sait aussi être assez subtil pour que ça ne se voit pas trop. Il ne me parle pas tant de lui. Il essaie plutôt de me convaincre de le choisir pour le film. Plusieurs heures défilent comme ça. Je suis fatigué. Je parle peu. Je l'écoute. A certains moments, je ne l'écoute plus aussi, ça arrive. A d'autres moments, on rit, on s'amuse.

Il tient sa vie, avec une certaine idée en tête qu'il ne perd jamais de vue. Je crois qu'il vit comme ça, tenace, assez confiant, simple. Il ne doit pas accorder beaucoup d'attention à ses peurs par exemple. Et j'imagine qu'il ne se plaint jamais.

On a des choses à faire chacun. Il est tard. Le temps à passer sans qu'on s'en rende compte. On se sépare. "A bientôt".

Je termine mon voyage à Berlin. Je fais encore quelques petites choses. Aller là, voir telle personne, etc... Je regarde le calendrier de la Schaubühne, mais je n'aime pas beaucoup le travail de la chorégraphe qui est programmée en ce moment. Je découvre un nouveau club branché, je n'y reste pas longtemps. Je marche dans les rues de Berlin. Je regarde les avenues où résidait l'élite communiste. Ca m'amuse que l'architecture communiste et celle américaine aient tant de points communs.

J'arrive sur une place que je reconnais. Tous mes souvenirs de Berlin me reviennent enfin. Je suis troublé. Emu. Et tout excité.

Je rentre à l'hôtel. Je me rappelle que les allemands mettent toujours une bible quelque part. Je la cherche. Je trouve un nécessaire à couture, du lait pour le corps, des barres chocolatées, des bonbons sous l'oreiller, une bouteille d'eau, la clef du vélo que l'hôtel me prête, un chiffon pour cirer les chaussures, mais pas de bible... Tiens, ils auraient changé à ce point les allemands ? J'ouvre le tiroir de la table de chevet : elle est là, dans toutes les langues. J'imagine qu'il y a des gens qui en lisent un passage avant de s'endormir, ça où les contes de fées, c'est pareil. Je souris.

Et puis je prends l'avion pour partir.

Humeur :


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